INTERROGATIONS DÉCEMBRE 1989

PETITE ANALYSE DE LA DIFFERENCE ... OU LE FEMINISME ET POURQUOI S'EN DEBARRASSER. 1

THE "BUFE-OONERIES" CONTINUE, 11

suivi de Une critique du primitivisme (1989) 11

PETITE ANALYSE DE LA DIFFÉRENCE ... OU LE FÉMINISME ET POURQUOI S'EN DÉBARRASSER.

..." J'objecte à être enrôlée dans l'armée des femmes en lutte du seul fait d'un hasard biologique."

 Annie Lebrun, "Lâchez-tout".

       J'écris à la première personne, et ce n'est ni au nom des femmes ni d'un "isme" quelconque  que j'ai entrepris cette réflexion. Si l'éducation que j'ai reçue, et qui a reposé sur ce qui était dans les années 5O-6O les bases de l'éducation des filles n'a pas réussi à me fondre dans un moule féminin conventionnel, elle a malgré tout influencé ma personnalité. Je n'écris pas ce texte en tant que femme. La nature m'a fait naître de sexe féminin et je n'en tire ni gloire ni dépit. Parmi mes remises en cause du monde et mes rejets ne figure pas cette féminité  naturelle, biologique, mais c'est le féminisme ainsi que l'image truquée de la femme qu'il renvoie, que je remets  en question. Quels rôles jouent l'inné et l'acquis dans la condition et le comportement féminins ? On a beaucoup entendu dire "on ne naît pas femme, on le devient". Comment le devient-on? Y a t-il beaucoup d'individus de ce sexe qui se soient souciées de ne pas le devenir?  D'ailleurs est-ce une tare  d'être une femme ou la tare ne vient-elle pas justement de ce devenir qui sous entend une participation non négligeable de l'environnement sur la "fabrication" de la féminité, en particulier le rôle joué par la femme elle-même dans la reproduction des schémas dominants au travers de l'éducation donnée aux enfants.

       Parmi les réflexions sur la condition féminine il manque une question fondamentale qui peut se formuler ainsi " la misère de la condition féminine réside-t-elle dans le fait d'être femme ou bien n'est-elle qu'une des situations de la misère humaine engendrée par la société dans laquelle hommes et femmes se débattent au quotidien ?"

       C'est sans amalgame qu'il faut envisager la condition féminine ou plutôt les conditions féminines. Celles-ci sont différentes selon les époques considérées, selon le type de société (primitive ou civilisée) patriarcale ou non, selon la religion, les contraintes climatiques, géographiques, économiques et surtout  selon le degré d'intégration des valeurs de ces sociétés par les femmes elles-mêmes. La femme fut considérée différemment dans l'Occident médiéval  et à la même époque en Orient. Ces différences existent encore aujourd'hui (cf. encadré page suivante) et il est difficile de comparer objectivement la condition de la femme d'une tribu   Africaine à celle de la femme dans les pays islamiques  ou dans nos sociétés "libérales avancées" où un certain type de femmes se fraye un chemin, "la femme aux dents longues" rivalisant avec l'homme  sur le terrain inhumain du capitalisme épanoui.                                                              

INFLUENCE DE L'HISTOIRE

Beaucoup de clichés et beaucoup d'idées reçues se  sont répercutées sur l'image de la femme. Que retenir de tout ce qui a été écrit, dit et/ou inventé sur la condition de la femme, sa symbolique, son émancipation  ou son aliénation  ?

       En ce qui concerne celle-ci le phénomène est complexe et ne peut pas se résumer à écrire que de tous temps la femme fut opprimée  par l'homme en passant sous silence l'oppression globale.  Dans les sociétés judéo-chrétiennes (et les sociétés islamiques qui en découlent ) on retrouve intimement liés le dogmatisme religieux et ses conséquences pratiques dans le développement des sociétés patriarcales ayant eu pour corollaire de mettre les femmes dans une position de dominées. Comme  l'Histoire écrite est presque exclusivement celle de ces sociétés considérées comme le fondement de nos civilisations, nos racines en quelque sorte, il est presque impossible d'apprécier la place faite aux femmes dans d'autres cultures. Certaines périodes, d'autres mœurs  ou ethnies sont laissés dans l'ombre.  Pourtant la femme n'a   pas seulement existé dans des sociétés oppressives et quelques documents laissent penser que  dans les sociétés celtiques la femme  a tenu un rôle  qui contraste avec celui où elle fut confinée dans les sociétes de type Gréco-Romain. N'ayant pas vocation d'historienne  ou  qualité de romancière je ne développerai pas  une grande fresque sur "l'Image de la Femme à travers les Siècles", je citerai seulement quelques exemples se limitant à la France médiévale.

       Jusqu'au XIV° siècle la femme semble jouir de droits qui sont les mêmes que ceux accordés aux hommes . Ce sont des droits de regard sur ses biens, sur l'éducation des enfants, sur le choix d'un compagnon, tous droits en rapport avec la vie quotidienne ....

       Au début du XIV° siècle les représentants de la bourgeoisie des villes, notamment des villes commerçantes du midi, redécouvrent le Droit Romain. Celui-ci est en complète contradiction avec le Droit Coutumier qui régissait alors les rapports entre les gens, hommes ou femmes.  Le Droit Romain a été repris avec enthousiasme  par tous ceux qui y voyaient un instrument de centralisation et d'autorité. Or ce droit qui se ressent de ses origines impérialistes et colonialistes, n'est favorable ni à la femme  ni à l'enfant. C'est le droit du Père (Pater Familias), propriétaire, chef de famille  au pouvoir sans limites sur sa famille. C'est donc sous l'influence de cette renaissance du Droit Romain et de la puissance grandissante du pouvoir de l'Etat que va se restreindre la liberté de la femme. Cette restriction est illustrée notamment par les lois qui vont dès lors  régir le mariage. On voit apparaître  dans la seconde moitié du XVI ° siècle  la nécessité du consentement des parents au mariage de leur progéniture, de même que la sanction de l'Eglise devient indispensable. Environ 50 ans plus tard la femme se verra contrainte à prendre obligatoirement le nom de son époux. L'influence du Droit Romain est si forte que l'on voit l'âge de la majorité (12 ans pour les filles, 14 ans pour les garçons) ramené à 25 ans, âge de la majorité fixé  dans la Rome antique. Tout ceci s'accompagne pour la femme d'une perte de certains droits civiques et du droit de gestion de son "patrimoine". Sans faire l'apologie de ces droits que je rejette par ailleurs, on peut noter que l'influence du Droit  Romain a confiné la femme dans ce qui a été de tous temps il faut bien le constater son domaine privilégié : le soin de la maison et l'éducation des enfants. Celle-ci lui sera enlevée d'ailleurs quelques siècles plus tard par le code Napoléon, achevant par là de mettre la femme du XIX° siècle en complète dépendance, sans aucun droit ni rôle légaux. Il est à noter que l'éducation des enfants était aux temps féodaux conjointement assumée par la communauté familiale. La famille d'alors était  conçue dans un sens large et l'éducation était réalisée au sein d'une communauté au lieu d'être le simple reflet d'une cellule père-mère, mais ceci est une autre histoire .

       Les exemples ne manquent pas qui attestent de la dégradation de la place tenue par la femme entre les coutumes féodales et le triomphe d'une législation  à la Romaine dont nos lois sont toujours imprégnées.

       La réaction qui a vu le jour avec le féminisme est fort décevante car la femme éperdue de satisfaction d'avoir approché puis pénétré le monde réservé aux hommes demeure inapte à apporter à ce monde un bouleversement quelconque car non seulement elle a intégré les valeurs dominantes et comme l'homme contribue à les reproduire mais peu à peu elle perd son identité pour se fondre dans un moule asexué conforme à une nouvelle normalisation.

LE FEMINISME CARCAN IDEOLOGIQUE.

       Les luttes féministes de libération sont aux femmes ce que les luttes de libération nationale sont aux régions. C'est lutter  pour prendre une part de pouvoir et se l'approprier. Seul le nom ou le genre du maître change. Les féministes de ces dernières décennies ont extrapolé à partir de leurs propres frustrations de pouvoir des frustrations universelles et pratiquement intemporelles, amalgamant sans vergogne maternité, lactation, salaires trop bas, femmes-objets, objets de femmes, hommes à abattre, tiers monde et excision, j'en passe... Ces néoféministes se sont mises à réclamer un  pouvoir illusoire dont on les aurait jusqu'alors privé au nom d'une différence entre les sexes qu'elles-mêmes exacerbent, forgeant au feu de l'oppression de l'homme sur la femme un outil idéologique qu'elles utilisent à leur profit. Alourdies de la contradiction provenant d'une revendication d'une spécificité féminine en même temps que de sa négation et de sa condamnation, les théories féministes se sont bâties tout à la fois sur le rejet de l'homme, sur le malheur ou, selon les besoins, la grandeur de la Femme. Désireuses d'effacer la différence entre les sexes elles ont au contraire établi un monde scindé en deux blocs rivaux, la femme et l'homme, oublieuses de la nature bisexuée de l'humanité. Empêtrées dans une version femelle de l'insoluble problème "Etre ou ne pas être" certaines théoriciennes, romancières en mal de prose, avocates en mal de presse ont pondu des pétitions, des manifestes et publié d'indigestes pavés coupant net tout élan à une possible révolte. Ramenant la lutte à un discours teinté de freudisme, de marxisme, d'existentialisme elles lui ont fait perdre la vigueur qu'elle avait acquise à la fin du XIXème siècle quand la révolte des femmes puisait sa sève aux sein même des luttes sociales, où  elles luttaient aussi pour abolir la différence théorique  qui investissait les hommes d'un pouvoir réel sur les femmes à cette époque ;  le pouvoir bourgeois enfermant les plus fortunées dans un statut d'objet décoratif et reproducteur et les autres dans une vie d'esclave assumant les travaux domestiques et participant peu ou prou au travail pour l'obtention d'un salaire d'appoint réalisant ainsi deux journées en une .

       Je ne suis guère en accord avec le féminisme narcissique de lesbienne de Flora Tristan qui entendait militer pour la classe ouvrière  et la réhabilitation de la femme, mais je suis en opposition totale avec le féminisme militant et  haineux du MLF et de ce qui en reste. Quel être humain peut se retrouver dans l'image de la femme que propose prétentieusement une Simone de Beauvoir ou plus récemment une Marguerite Duras, dans le féminisme complaisant et niais d'une Xavière Gauthier ou dans les péroraisons d'Elisabeth Badinter ou de Gisèle Halimi? Que font-elles pour la "cause des femmes" sinon l'exploiter, en faire des livres, de l'argent et du pouvoir. Si les néoféministes ont creusé une brèche dans le machisme c'est pour mieux se frayer un chemin vers le capitalisme triomphant de cette fin de siècle. L'obtention de la contraception, la légalisation de l'avortement  étaient les moyens nécessaires  pour permettre l'entrée sans entrave de la femme dans le monde du travail à plein temps. L'idée féministe aurait pu être dangereuse si elle avait dépassée le stade des revendications de classe. Mais la société capitaliste a ceci de commun avec les protozoaires, elle phagocyte ce qui la menace. Ainsi le capitalisme a absorbé la révolte de quelques réfractaires à la codification sociale et a secrété  une pseudo remise en cause des schémas établis, où les femmes  ont pu canaliser leur mauvaise humeur et où elles ont trouvé une place de choix dans la reproduction des valeurs sociales dominantes s'appuyant sur une idéologie libératrice sécurisante. Le féminisme est cette nouvelle valeur intégrée au système  et comme les nouvelles lessives il lave plus blanc, il est à la mode. A l'aide de la publicité se construit un nouveau mythe,  celui de la femme avec un grand F, issue toute fraîche du féminisme montant, combattante, battante et con, dynamique sans puer grâce aux déodorants, ayant (à défaut du lait) renversé la vapeur et fonçant au volant de son auto vers quelques réunions d'affaires tandis que son homme avec un petit "h" teste l'étanchéité des couches culotte du dernier-né. Après la femme "obscur objet du désir", la publicité pousse en avant les femmes pressées si accomplies qu'elles en oublient d'être humaines. Les féministes ont pendant un temps désapprouvé l'utilisation par la publicité du corps de la femme (sans remettre pour autant en cause la publicité elle-même) et mené des campagnes contre la femme objet, mais l'utilisation actuelle de la femme moderne ne fait plus bondir personne ... signe des temps ? Peut-être est-elle considérée comme un facteur  montrant l'évolution intellectuelle de l'espèce. De la femme enfant du premier Tampax aux mammies de choc championne du café "à l'ancienne" (?), la publicité depuis l'avènement de l'industrialisme, use de tous les artifices d'une psychologie de bazar pour que s'écoule la production de masse (cf. Stuart Ewen, Consciences sous influence, Editions Aubier-Montaigne).

 

LA FEMME DE L'HOMO MODERNICUS

Les mutations de la société industrielle tout en conservant certains aspects de l'institution familiale légués par la tradition ont considérablement modifié l'environnement et le rôle de la famille. L'entrée de la femme dans la vie professionnelle et les bouleversements provoqués par une telle rupture avec la tradition constituent les éléments qui définissent la condition de la femme dans la société moderne.

       Dans les luttes sociales du XIX° et du début du XX° siècle les femmes ont réclamé leur part de misère salariée. A travail égal salaire égal. L'évolution de la société leur a permis d'accéder à des postes jusqu'alors réservés  aux hommes. Les néoféministes ont particulièrement monté en épingle l'accession de la Femme aux postes de responsabilités ou aux emplois particulièrement marqués par leur aspect "mec". C'est davantage la PDGère ou la chauffeur poids lourds que la coiffeuse ou la caissière qui ont leur faveur. C'est uniquement aux commandes qu'elles se considèrent réhabilitées. Les autres femmes, les ouvrières, les ménagères, les "au foyer", toutes ces pauvres connes "sans conscience", demeurées au ras du bitume social alors que le féminisme leur faisait la courte échelle de la libération, celles-là ne sont pas dignes de figurer sur la photo de famille des femmes modernes, elles sont juste bonnes à être évoquées avec condescendance comme preuve de l'archaïsme subsistant.

       Les "sans salaires" qui sont restées soumises à l'homme n'ont que ce qu'elles méritent. Et les autres aussi, celles qui travaillent parce qu'il faut "bouffer" et non pour s'accomplir. Il faut bien des femmes de ménages, des nurses pour s'occuper des enfants des VRAIES femmes, il faut bien des standardistes pour prendre leurs commandes téléphoniques "si pratique, ma chère" quand le temps manque. Ces Bernard Tapie femelles sont débordées, pressurées, mais fières à défaut d'être heureuses  de leur esclavage tout neuf, de leur bambin tout rose et de leur compte en banque avec le découvert qui va avec!

       La femme a acquis au travers du travail une indépendance de productrice-consommatrice. Le mouvement féministe contemporain sert à pousser les femmes à l'accession de ce "bonheur" et les conforte dans une identité de pacotille qui n'a de valeur qu'à la lumière des échanges marchands et des rapports de force qu'ils engendrent.

       Selon l'expression consacrée les femmes ont voulu "s'accomplir" et pour ce faire elles ont choisi le travail salarié. Elles ont voulu égaler et même surpasser l'homme dans ce qu'il a de moins humain, sa soumission au travail, la sienne et celle qu'il impose aux autres. Elles semblent parvenues à l'égalité, mais comme il y a des siècles à rattraper, les femmes mettent les bouchées doubles, elles s'investissent pour être à la hauteur, elles se doivent d'être conformes à une Image (une fois de plus) celle justement de la "FEMINISTE" qu'elles prétendent être, robot à dix bras au cerveau détraqué, où argent, pouvoir, mode, enfants, politique, réussite sociale, s'agitent comme des hochets au détriment d'autres valeurs plus apaisantes. La femme nouvelle est arrivée, comme le beaujolais elle a le goût  aigrelet des produits trop vite fabriqués et trop tôt consommés. Il arrive qu'une lueur de lucidité se glisse par-ci par-là, et que certaines perçoivent qu'elles se sont fait piéger ou pour les plus lucides d'entre elles qu'elles se  piégent elles-mêmes. Mais le piége n'est pas exactement celui qu'elles envisagent. Déguisé sous forme de liberté s'est développé un nouvel asservissement. Il n'est pas spécifiquement féminin, c'est cela qui leur échappe, c'est l'asservissement de l'homo modernicus. La femme salariée n'est qu'un des rouages dont la société a besoin aujourd'hui pour produire et écouler la marchandise.

LE FEMINISME...SUPPORT REVOLUTIONNAIRE ?

       Pourquoi investir le féminisme d'un pouvoir révolutionnaire qu'il n'a pas? C'est un mythe aux racines profondes qui puise sa sève au même malentendu que celui du rôle déterminant du prolétariat dans l' écroulement du capitalisme.

       Au XIX° siècle  les théoriciens du marxisme voyaient un lien irréfutable entre la révolution et le féminisme. Dans les manuscrits de 1844 Marx définissait "le rapport de l'homme à l'homme" comme étant le "rapport de l'homme à la femme". Engels,  en particulier dans " Les origines de la famille de la propriété et de l'Etat" développa la grande idée de l'oppression de la femme comme origine du système des classes. Il considérait l'idée que la femme en tant que telle pouvait être le support non seulement d'une libération pour elle-même mais aussi pour l"autre". Pour Engels le début de l'antagonisme de classe coïncidait avec le développement de l'antagonisme homme-femme engendré par la monogamie.

       Le résultat de cette analyse est que la femme représente le prolétariat au sein de la famille. Flora Tristan dira "la femme est serve de condition et la prolétaire du prolétaire". Cependant Engels n'ira pas jusqu'à envisager que la femme puisse être pratiquement révolutionnaire  puisque sa conception de la lutte des classes passe uniquement par les rapports de production. Or dans un foyer point de production... juste une "petite économie domestique" que soulignera Lénine (sous la pression de Clara Zetkin) prophétisant des temps nouveaux sur l'émancipation de la femme où "la politique enfin simplifiée permettrait à une cuisinière de diriger l'Etat". L'Histoire démontra que nul n'est prophète en son pays.

       Face à une conception économiste s'appuyant sur la théorie marxiste de la notion de classe exploitée, les féministes se posèrent la question de savoir si oui ou non les femmes constituent elles aussi une classe. Leurs revendications répondront positivement à cette question . Le mouvement féministe s'est attaqué directement à l'autorité de l'homme dans son rôle social de père ou de mari, a dénoncé la famille comme "lieu institutionnel d'exploitation de la femme", et a proclamé une oppression spécifique commune à toutes les femmes, le patriarcat les limitant à l'esclavage domestique.

       Après Mai 68 on  a vu émerger un amalgame révélateur, celui des opprimés de tous poils, femmes, homosexuels, adolescents ne trouvant aucune place réelle dans la théorie révolutionnaire  du moment qui qualifie leur oppression de "secondaire",  priorité étant donné à la lutte ouvrière. On voit apparaitre à cette époque des groupes de femmes dans tous les secteurs et une certaine remise en cause de

la "vérité révolutionnaire". "Nous sommes toutes les prisonnières de Marx" déclarait la féministe américaine Ti Grace Atkinson ! Je trouve cocasse de citer les propos de la féministe espagnole (et stalinienne) Lidia Falcon. "Si après 60 ans de révolution socialiste prolétarienne en URSS et  trente ans en Chine, la femme continue à être en marge de la société comme dans la société capitaliste c'est que la première structure qui  l'opprime se maintient. On n'a pas rompu les relations de pouvoir ni les relations de production qui soumettent et exploitent la femme".

       La femme remet en cause sa double relation à l'économie: la production familiale et de plus en plus la production sociale. C'est de ce point de vue que les femmes se placent pour considérer que le travail domestique non rémunéré est un travail productif. "Ce sont les femmes qui sont exclues du marché d'échange en tant qu'agent économique et non leur production" diront certaines dans les années 70. Aux USA comme en Europe toutes les voix féministes s'accordent pour se déclarer appartenir à une classe exploitée. Dans "Les ouvrières à la maison" les italiennes déclarent "Notre rapport de lutte avec le capital passe par le salaire du travail   domestique".

       Même si certaines femmes comme Ti Grace Atkinson considèrent que l'explication de l'oppression ne repose pas seulement sur la notion de classe, leur remise en cause du monde est assez partielle, nombriliste souvent et exclusivement limitée à la gent féminine. Réclamer un salaire pour accomplir les tâches domestiques revient à se vendre au sein de la famille et à considérer que l'argent est le facteur prépondérant dans l'égalité des rapports humains. Les activités domestiques sont souvent considérées comme subalternes, serviles dans la mesure où d'autres secteurs sont considérés comme valorisant. La publicité depuis a cherché à  "revaloriser" les tâches ménagères en les soumettant à une technicité  de plus en plus grande, au point  que même les hommes peuvent les accomplir ! Le côté valorisant d'une activité repose plus aujourd'hui sur l'argent qu'on gagne en l'accomplissant,  ou sur la sophistication de l'appareillage que l'on emploie pour la faire, que sur l'intérêt réel qu'elle présente. Le salariat domestique rendrait-il plus attrayant  les tâches ménagères si déconsidérées dans l'esprit du temps ? Exemple flagrant du "miraculeux pouvoir" de l'argent ; les féministes réclamant un salaire ménager conviennent d'étendre les rapports marchands à la cellule familiale et participent à la rationalité capitaliste qu'elles prétendaient mettre en cause.

       Malgré ou à cause de toutes ces contradictions, le féminisme a attiré beaucoup d'intellectuels  qui y ont vu un moyen de se donner bonne conscience en soutenant les "exploitées". Marcuse par exemple écrivait en 1975 "le socialisme post-industriel c'est-à-dire le communisme sera féminin ou ne sera pas" (Marxisme et féminisme), on a pu lire également ceci " C'est grâce au mouvement des femmes que nous les hommes avons déjà retrouvé certains droits aux sentiments, aux rapports avec l'enfant, etc... Et ce qui est une défense culturelle peut devenir une lutte proprement sociale et politique contre le monde des managers, de sous-managers et d'employés contre cette vie dont on se demande finalement à quoi elle sert sinon à faire tourner la machine " (Alain Touraine, 1978, dans le Nouvel Observateur).

       Je constate  que pareillement aux hommes, les femmes des années 8O font tourner la machine et finissent par trouver cela bon. Il y a aujourd'hui bien peu d'opposition  aux valeurs dominantes et les femmes ne sont pas les moins bien intégrées au système. Des hommes semblent avoir eu vaguement l'espoir que la "libération de l'homme" viendrait miraculeusement des femmes ou ... des prolétaires ... ou des deux. Hommes, femmes, prolétaires, rien n'est à attendre des seuls autres et il n'y a pas de spécificité de la pensée féminine. Actuellement la femme prise dans les rets de la société joue des coudes comme les hommes et/ou subit comme les hommes l'asservissement à la vie moderne. Elle est dépossédée de sa vie comme chacun l'est aujourd'hui. Mais en tant que femme elle n'est ni plus ni moins porteuse "d'un message" que quiconque dans ce triste monde qui ne changera pas tout seul !

       En pratique le capitalisme a intégré le mouvement des femmes et s'accommode bien des nouvelles valeurs qui ne reposent plus strictement sur l'opposition traditionnelle de l'homme-pourvoyeur de l'argent du foyer et la femme-esclave domestique, mais  qui se fondent davantage sur les luttes d'influence pour occuper une position sociale. Peu importe le sexe des chefs, seul importe l'antagonisme qui oppose et divise les êtres et empêche le développement de rapports humains différents.

       En 1989 la plupart des femmes  ne luttent plus au nom du féminisme, elles l'accomplissent. Car cette idéologie est conformiste du point de vue de l'établissement social, la femme loin de se démarquer de la société semble aspirer à la fonction de "travailleuse" et trouve son idéal en une imitation de l'homme sans critique des frustrations et des dangers que cette imitation comporte, parce qu'en cela la femme sociale est comparable à l'homme social, elle pense en terme de profit immédiat et de succès individuel.

LA FEMME VECTEUR DE REPRODUCTION DES VALEURS DOMINANTES

La femme bien qu'ayant  déserté le foyer pour participer à la production, demeure encore un facteur prépondérant au sein de la famille en ce qui concerne l'éducation des enfants. Ce secteur depuis toujours semble avoir été son secteur privilégié. Le fait que biologiquement la femme assure la fonction "porteuse" de la reproduction lui confère-t-il un don particulier pour s'occuper de sa progéniture (ce que l'on nomme l'instinct maternel) ou bien n'est-ce que l'imitation des gestes que les filles ont vu faire par leur mères et qu'elles ont appris d'elles depuis la nuit des temps?

       Dans tous les cas on peut observer que ce sont les femmes qui le plus souvent éduquent les enfants. Puisque tel est le cas  on est en droit de se demander pourquoi depuis si longtemps elles ont contribué à transmettre au travers de cette éducation -par elles dispensée- les préceptes oppressifs dont elles-mêmes se jugeaient les victimes et dont elles auraient voulu se débarrasser. Pourquoi avoir élevé leurs garçons différemment de leurs filles, pourquoi avoir inculqué à celles-ci le respect de l'homme souverain et à ceux-ci un mépris de l'autre sexe, les conduisant  les uns et les autres à prendre les chemins empruntés par leur père et leur mère? Peut-être peut-on y voir une inconsciente (?) vengeance du faible qui reporte sur de plus faibles encore sa frustration d'être  lui-même soumis. Sous le masque du dévouement la femme dont les aspirations ont été refoulées reporterait-elle sur l'enfant un amour possessif et destructeur? La parcelle de pouvoir que lui confère l'éducation des enfants  permet  à la femme  de façonner la génération suivante  selon les critères qu'elle même sélectionne et qui le plus souvent sont ceux de la société dans laquelle elle vit. Ainsi rien ne bouge .

       L'environnement et les pratiques sociales jouent un rôle aussi important que les sécrétions hormonales sur l'expression des caractères et les comportements mâles ou femelles. C'est à la fois dans la famille et à l'école que se font peu à peu les distinctions entre les activités  des garçons et des filles . Il faut remarquer que certaines de ces activités sont presque exclusivement limitées à l'un des deux sexes. Par contre certaines comme la cuisine, si elles sont plutôt l'apanage féminin au sein de la famille sont très souvent l'apanage des hommes dans le secteur de la production. Pourquoi ces subtils distinguos entre maison et monde du travail ?

        Dans les anciennes sociétés " primitives"  on peut imaginer que le bon sens ou l'usage aient entraîné une répartition des tâches au sein du groupe  en fonctions des "capacités"; les hommes se servant de leur plus grande force physique  ou de leur meilleure résistance  pour chasser ou construire et les femmes s'occupant des enfants, de la fabrication d'objets domestiques ou de la préparation de la nourriture et des cueillettes. Ceci ne prend pas du tout en compte un "développement" d'esprit religieux ou de pratiques sexistes qui ont du voir le jour à un certain moment de" l'évolution" et que l'on retrouve très fortement enracinées dans certaines sociétés tribales d'aujourd'hui. Ce qu'il en était originellement n'est que pure spéculation. De ces supposées pratiques ancestrales, reposant sur la sagesse et non sur la croyance ou sur la discrimination des rôles importants ou triviaux, les sociétés civilisées ont fait des carcans maintenant chacun à sa place  pour que la société se pérennise.

       Biologiquement différents, l'homme et la femme ne sont pas équivalents même s'ils sont élevés exactement selon les même règles. Allaiter au sein est et restera (on l'espère)  une activité strictement féminine, en rien dégradante, qui forcément entraîne la femme à prendre une part importante et irremplaçable dans "l'élevage" du tout petit et qui probablement conditionne ses rapports à l'enfant

       En dehors de ces activités spécifiques se rapportant à l'enfantement et qui sont de ce fait féminines par excellence, aucune distinction ne devrait empêcher les uns et les autres d'exercer à leur guise, selon leur capacité dont ils seraient seuls juges, l'ensemble des activités humaines.

       Mais dans la société d'êtres atomisés où nous vivons cela est inconcevable. Il y a des rôles à remplir et des interdits à respecter. C'est en partie à cause de cela que la femme actuelle (parait-il libérée?) participant à la vie active, partie intégrante du monde professionnel, continue à élever les filles sensiblement différemment des garçons. Le vieil adage " Rentre tes poules je lâche mon coq"  a encore de beaux jours devant lui. A la maison comme au boulot, les rapports d'autorité confinent les êtres à occuper la place qui leur est assignée par les besoins sociaux.

MYTHE ET SYMBOLE FEMININ

       De tous temps la femme a engendré le mythe à tout le moins le mystère de la "féminité". Elle  a incarné selon les époques et le degré de "civilisation" la fertilité, femme aux hanches épanouies  et aux seins généreux. Cette image de la fécondité, ces divinités matriarcales ont servi de culte à de très anciennes civilisations d'agriculteurs qui voyaient dans la fertilité féminine  l'image de la fertilité de la terre. On retrouve actuellement cette symbolique païenne dans certaines tribus africaines .

       Avec le judéo-christianisme l'image de la femme subit un dédoublement. Elle devient tout d'abord symbole de la tentation et du péché originel , responsable de la chute  de l'homme hors du paradis terrestre. Elle est cause de la malédiction divine conduisant l'homme à gagner son pain à la sueur de son front et elle-même à enfanter dans la douleur. Voici un mythe qui a la peau dure. Cette femme impure est dans la religion chrétienne rachetée par l'image de la Vierge mère du Christ par la volonté du Saint Esprit  et bla bla bla... C'est cette image que la religion catholique montante imposera comme seule et unique modèle acceptable pour la femme.

       La femme n'est pas de ce fait destinée au plaisir, elle a une seule fonction à remplir (fonction provenant de son impureté , mais il faut s'en accommoder) la maternité. Là est son salut. Si on analyse cette image on se rend compte que l'homme qui respectera ces principes  ne devra pas chercher à avoir auprès de sa compagne le plaisir des sens et surtout ne devra pas le lui inculquer. C'est ce qui a conduit beaucoup d'hommes au bordel et de femmes frustrées dans leur corps et dans leur tête, à l'asile. L'image de la femme est le reflet de la société qui la propose, que ce soit l'image d'une femme terrifiante séductrice et castratrice sortie de la théorie freudienne du XIX° siècle ou celle de la femme fétichisée à l'usage des hommes sortie de l'idéologie des mouvements féministes du XX°.

       Le rôle de la psychanalyse a été prépondérant dans la formation des stéréotypes du féminin et du masculin. Freud en théorisant et en rationalisant certains aspects du comportement de ses contemporaines a contribué à développer une science de la différence. Recherchant l'abolition des tabous sexuels, mais en même temps très attaché aux idées traditionnelles de son époque sur la féminité, il ne comprit pas ou ne voulut pas comprendre que les oppositions entre virilité et féminité étaient plus le fait de l'acquis (éducation, milieu social...) que de l'inné et que ce problème d'opposition entre sexes n'était qu'un des aspects de l'opposition et de la lutte entre individus. Freud avait constaté que les femmes qu'il examinait souffraient de leur position d'inférieure et qu'elles enviaient l'apparente liberté masculine. Beaucoup présentaient des signes d'hystérie consécutive au refoulement de leurs désirs sexuels.  Freud attribua ces névroses à une  soi-disant "nature féminine". La femme intellectuellement lui semblait mutilée souffrant de la fameuse absence de phallus dont parait-il chaque femme déplorerait l'existence causant chez elle dès le plus jeune âge un "complexe de castration". Toujours selon la théorie freudienne, la vue des organes sexuels féminins conduirait le petit garçon a une frayeur de ressembler "à çà", frayeur d'être lui-même castré lui permettant de surmonter son oedipe et de s'intégrer à la communauté. De son côté la fille reconnaîtrait la supériorité du mâle, tout en protestant contre sa propre infériorité. Freud conclu que trois possibilités s'offrent alors aux filles, la première est de renoncer à la sexualité, la seconde de revendiquer un pénis et rechercher à pratiquer des activités masculines et la troisième d'accepter passivement son infériorité féminine. Parvenue à l'âge adulte la femme s'accomplirait par procuration via son mari et ses fils . Du point de vue de Freud les femmes qui développent une activité propre sont des névrosées qui refusent d'accomplir leur féminité !

       Cette théorie pseudo-scientifique devient un véritable dogme qui renforce peu à peu l'emprise des stéréotypes et y confine la femme au rang de mutilée, créature imparfaite qui est soit soumise et psychopathe, soit libre et névrosée. Freud et ses successeurs ont étendu le comportement sexuel de quelques femmes à une époque donnée à l'ensemble des femmes. Cette science de la différence ramenant tout à la mère génératrice des fantasmes, à la frustration sexuelle, explique la féminité uniquement par le vécu d'une situation conflictuelle d'ordre culturel et psychique.

Cette religion est loin d'être un facteur d'évolution pour les femmes et les a entraînées dans les eaux troubles du sexe, brouillant du même coup le véritable malaise humain qui repose sur un manque d'accord fondamental avec les autres et avec la vie.

       Freud et beaucoup d'autres psychanalystes n'ont rien résolu et leurs discours, comme ceux d'un autre genre des féministes, ne font que renforcer la conscience ségrégative et trompent les femmes et les hommes sur la réalité de leur aliénation.

LIBÉRATION SEXUELLE OU ALIÉNATION?

       L'accomplissement sexuel est devenu un cheval de bataille médiatique. Ce qui semble important surtout c'est la technicité, la performance. La technique du comment faire bien l'amour s'enseigne dans des manuels illustrés. Les magazines regorgent de recettes miraculeuses pour combattre le stress et permettrent aux femmes et hommes pressés d'être tout de même au lit des "bêtes performantes". La presse du cul contrebalance -d'un point de vue marchand- la presse du cœur. L'érotisme -bien que ce mot me paraisse peu convenir à ce qu'on lui fait recouvrir aujourd'hui- est une religion moderne tout comme l'argent. Les hommes et les femmes parlent de "çà" (pas toujours ensemble, c'est dommage!). Mais de quoi parle-t-on vraiment?

       Le vocabulaire scientifique permet d'aborder la question en spécialistes, sans fausse pudeur, mais que reste-t-il de la poésie des mots ?

       On serait donc sexuellement libres, "débridés". La pilule autoriserait la fantaisie... Hélas le sida guette et on fait l'amour avec préservatifs "par sécurité". Alors et la fantaisie promise ? Ne  désespérez pas hommes et femmes, le préservatif fluo à musique ou à pois sera votre béquille de demain !

       La prostitution qui aurait du régresser en période d'euphorie sexuelle a plus que jamais une fonction sociale auprès des exclus. Le show-biz du sexe est florissant et l'informatisation a permis le développement d'un secteur lucratif de messageries X où les frustrés modernes se défoulent  à 3F la minute sans avoir besoin de sortir de chez eux, sans le moindre  contact humain. C'est l'accession à la frustration pour tous, c'est à la portée de toutes les bourses (sans vilain jeu de mots). La "liberté" sexuelle est devenue obligatoire. Mais l'amour dans tout cela où peut-il éclore ? Se résume-t-il juste à un acte sexuel techniquement conforme et à quelques perversions derniers palliatifs à l'insuffisant équilibre dans nos rapports humains. Notre vie est mécanisée, hypertechnicisée, nous nous réduisons peu à peu à nos fonctions vitales et le ou la partenaire n'est souvent que l'objet dont on use à loisirs sans égards à la personne humaine sans faire de "sentiments".

       Est-ce la masculinisation vestimentaire et idéologique de la femme qui a entraîné parallèlement une "dévirilisation" de l'homme ? On observe depuis quelques années une augmentation de l'homosexualité et de la prostitution masculines. Le flou asexué inhérent à la médiocrité des rapports homme-femme est une des conséquences de l'uniformisation des rôles à jouer dans cette société misérable où tout n'est que représentation. Chacun joue à être le reflet de l'image dominante du moment. C'est ce qui fait que l'homme à la mode est représenté vêtu de couleurs tendres (c'est ce qui se fabrique et qui se vend). La publicité nous le livre servant un potage reconstitué (mais à l'ancienne, écologie oblige) à une troupe de minets débiles en week-end entre "hommes". Il est difficile de taxer ce zombie de machisme mais que les néoféministes  n'en tirent aucune gloire, il n'est comme elles qu'un sous-produit sans saveur de la machine d'exploitation de l'humain.

LE FÉMINISME ET POURQUOI S'EN DÉBARRASSER

       Il n'y a rien  dans le féminisme qui promette un changement radical dans nos conditions de vie. Je constate banalement que des modifications sont apparues dans  la vie des femmes au cours des années passées sous la pression des "réalités sociales". Je ne nie pas que l'IVG comporte moins de risques que l'aiguille à tricoter des faiseuses d'anges d'antan. Je ne nie pas que l'absence de la peur d'être enceinte ait modifié le comportement féminin vis à vis du rapport sexuel. Mais a-t-on atteint pour autant à la plénitude? La pauvreté de nos rapports aux autres répond d'elle même négativement à cette question.

       La révolte féministe fut menée par des êtres qui n'aimaient ni les hommes ni les femmes, elles aimaient le pouvoir. Je ne me réjouis pas des succès de leurs batailles qui ne me concernent qu'en ce qu'ils pérennisent  l'oppression. N'étant pas démocrate, je considère que le droit de vote n'a rien apporté  de positif ni aux femmes ni aux hommes. Voulant  voir disparaître le travail salarié je ne peux pas me réjouir d'être obligée  de me vendre et d'engloutir mon énergie et ma vie toute entière dans cette activité fébrile. Je subis cette attrition mais qu'on ne me force pas en plus à trouver cela valorisant. N'ayant aucun goût pour le pouvoir je me soucie peu que des "carrières" me fussent ouvertes et du fait de mon profond dégoût pour la marchandise et la modernité, le monde d'aujourd'hui ne présente à mes yeux aucun attrait. J'y découvre chaque jour qu'il n'est pas nécessaire d'être un homme pour être phallocrate ni d'être une femme pour être brimée. Chacun de nous subit quotidiennement des brimades. Le phallocratisme au féminin porte le nom de "cause des femmes" et tant qu'un "isme" quelconque mettra la "différence" en exergue il y aura antagonisme et opposition entre les  gens.

       La violence et la faiblesse sont sans sexe défini. Tant que des comportements stéréotypés prévaudront sur les comportements naturels il y aura prédominance du "rôle" sur la "vie". Il n'y a rien à gagner à s'approprier des valeurs spécifiquement féminines, ni à rejeter à l'inverse nos spécificités physiologiques comme le MLF le fit en son temps, ni à les glorifier comme d'autres l'ont fait depuis mélangeant pour leur profit le sang menstruel à l'encre de leur plume.

On peut rejeter les clichés, le reflet de la femme que la société projette, refuser de mépriser notre complément vital l'homme, refuser d'être une marchandise aux mains des psychiatres, sexiâtres et autres spécialistes des relations humaines dans une société  qui en est dépourvue.

       Nous pouvons faire que l'éducation que nous donnons à nos enfants, si nous avons fait le choix d'en avoir, dépasse la reproduction des idées reçues et modifie le tracé de leur futur. Nous pouvons refuser d'être enrôlées dans l'armée des femmes en lutte au profit de la société actuelle. Mais tous ces choix et ces refus n'ont rien à voir avec le féminisme qui enferme le monde dans les contours de sa propre misère. Aujourd'hui hommes et femmes confondus perpétuent le système qui les divise, tout est en place pour que rien ne change si nous ne changeons pas nous-mêmes.

       Anne, ma sœur Anne de ta tour féministe tu n'as rien fait surgir. Scrute l'horizon bouché, regarde la rivière polluée, la forêt détruite et observe la ville pullulant d'une multitude d'hommes et de femmes asservis. Cesse donc de fixer ton féminin nombril, imagine plutôt les moyens de retrouver un monde où hommes et femmes complémentaires vivraient des rapports fondés sur d'autres bases qu'argent, travail, consommation et pouvoir.

"Le malheur, ce n'est pas le sexe. Le malheur c'est le patron"

C. Rochefort . La porte du fond.

AIR ,  Juillet 89 

      

THE "BUFE-OONERIES" CONTINUE,

suivi de Une critique du primitivisme (1989)

    Nous reproduisons ci-dessous des extraits d'un texte de Michaël William - The "Bufe-ooneries" continue - publié dans Demolition Derby. Celui-ci constitue une réponse à un article de Chaz Bufe, membre de l'organisation anarcho-syndicaliste Workers' Solidarity Alliance (WSA, section américaine de l'A.I.T.) intitulé "Primitive Thought" (dans Ideas and Action n°10). Cet article était presque entièrement consacré à attaquer ceux qui prennent effectivement en compte la destruction de la terre par le capitalisme industriel (comme nos compagnons de Detroit qui publient le journal The Fifth Estate) regroupés sous le label d'antiautoritaires "primitivistes". La reprise par Michaël William de cette étiquette dans sa critique a donné lieu à une lettre de l'un d'entre nous que nous reproduisons à la suite des extraits.

    "...Pour la plupart de ceux d'entre nous qui ont rejeté la civilisation, ceci est moins une question de prendre les populations primitives comme un modèle précis (bien que nous ayons beaucoup de choses à en apprendre) que d'établir (de ré-établir) une relation à la terre et à la nature radicalement différente, non instrumentalisée : ce que je vois comme une réintégration dans la nature, ou ce qui se rapproche le plus possible de ce but. Il vaut également la peine de se souvenir qu'autrefois nos propres ancêtres, souvent celtiques, eurent aussi un mode de vie primitif (comme tout le monde). On ne peut bien entendu remonter le temps - personne n'a jamais prétendu que ce soit possible - même si nous pourrions nous débarrasser des pendules. Mais ce n'est pas un argument pour ne pas abolir cette société ; l'évidence croissante de la banqueroute de la civilisation ne fait que rendre sa négation de plus en plus attractive...

    ...La coercition massive est l'essence de la technologie moderne (et comme nous l'avons vu précédemment, les machines et leurs codes ont à plusieurs reprises montré leur capacité à remplacer les êtres humains comme maîtres d'esclaves). Étant donné leur attachement à l'industrialisme, l'ouvriérisme des anarcho-syndicalistes devient une nécessité plus qu'une question de choix. Leur cauchemar est que les gens refusent d'"autogérer" la mégamachine; qu'ils soient repoussés par la quantité terrifiante de boulots assommants, stupides, rendus inévitables par l'industrialisme, les piles de paperasses et de disques d'ordinateurs, les réunions qui n'en finissent pas, les voitures, les usines et peut-être les villes elles-mêmes. "J'aime avoir une grande variété de nourritures à manger le long de l'année" dit Bufe, dont je doute fortement qu'il en ait lui-même récemment obtenu aucune, en la faisant pousser ou autrement. Il suppose simplement que l'agro-industrie continuera comme auparavant, et que les gens de la campagne continueront à travailler pour nourrir les masses urbaines (plutôt que de pratiquer une agriculture de subsistance ou d'autre façons de survivre sur la terre), que le réseau de transport et de distribution et tout ce qui est nécessaire à le garder en fonction continuera comme auparavant, en bref que tous les soldats de l'industrialisme (et tous ses généraux) resteront à leur poste. dans le cas contraire, si un seul secteur essentiel s'y refusait, toute la pyramide commencerait à s'effriter..."

UNE CRITIQUE DU PRIMITIVISME

( Lettre de Heme à propos de The "Bufe-ooneries" continue )

    Ces quelques notes veulent critiquer l'utilisation systématique faite par Michaël dans l'article cité du terme "primitiviste/primitivisme", pour définir le ou les courants critiques s'exprimant par exemple dans The Fifth Estate, Anarchy, Interrogations ... et Demolition Derby. Elles ne mettent pas en cause l'article dans son ensemble avec lequel je pense être en accord sur le fond. Je soulèverai donc quelques points s'attachant à montrer en quoi cet emploi est selon moi erroné, voire pernicieux.

    1- Tout d'abord, cet emploi conduit à se placer sur le terrain de ceux qui veulent affaiblir ou dénaturer notre critique du capitalisme et plus généralement de la civilisation. Se ranger sous une étiquette réductrice, parcellaire,... ferait trop plaisir à ceux qui voudraient faire croire que notre analyse  est -comme la leur- parcellaire plutôt que de viser à la globalité ; que nous sommes des idéologues en concurrence -sur le même terrain- contre d'autres idéologues.

    2- Ce terme tend à masquer les racines de notre rejet de ce monde. Notre dégoût ne serait pas produit par ce que nous vivons et subissons effectivement quotidiennement et les réflexions que ceci suscite en nous, mais par une référence idéologique à un autre mode de "société" dont nous n'avons aucune connaissance directe. Pourquoi toujours chercher une référence à l'extérieur de nous pour exprimer nos aspirations : tel théoricien, tel État ... ou la "nature primitive" ?

    3- A quoi fait d'ailleurs référence ce "primitivisme". Est-ce à une vision idéalisée de ce que sont censés être (plus exactement avoir été) les sociétés (?) dites primitives ? Si cela est, qu'en sait-on exactement? En ce qui concerne les vrais primitifs (pré-historiques) on ne peut évidemment avoir aucune idée essentielle de leur vie sociale/relationnelle. Ce ne sont pas les fantasmes des préhistoriens qui peuvent nous éclairer en quoi que ce soit. Et même si l'on veut prolonger à outrance ce primitivisme ( par exemple jusqu'aux invasions romaines pour la Gaulle ), quelle connaissance précise avons nous de nos ancêtres Celtes pourtant peu éloignés dans le temps ?

    En ce qui concerne maintenant les populations dites primitives "contemporaines" étudiées par les explorateurs puis les ethnologues, je dirais simplement qu'elles sont aussi primitives que vous et moi. Une même distance les sépare que nous de leurs lointains ancêtres, distance durant laquelle des milliers de formes sociales, de remises en cause intégrales ont pu être expérimentées. Rien ne permet de dire qu'il existe une ressemblance significative entre leurs modes associatifs et ceux de leurs ancêtres. L'idée d'une virginité primitive maintenue ignore la permanence au long des siècles des voyages, confrontations entre populations dissemblables,... Tout au plus peut on dire qu'ils représentent des choix humains différents de ceux que nous connaissons, apparus au cours de l'évolution humaine.

    Considérons maintenant plus spécifiquement les populations telles que celles étudiées par quelqu'un comme Clastres ( que d'ailleurs j'apprécie, tout comme Michael ). Remarquons tout d'abord qu'il ne s'agit que d'un petit nombre de populations sur des points limités du globe ( par rapport bien-sûr uniquement aux populations "non civilisées"). Pourquoi  n'avoir pas étudié aussi attentivement par exemple les populations tribales africaines ? Ne rentraient-elles pas dans le schéma ? Mais limitons-nous aux populations effectivement étudiées ? Que représentent les conclusions que Clastres a pu en tirer : des données objectives sur les modes de vie de communautés ayant échappé à la domination industrielle ? une interprétation parfois abusive de fait réels ( faits parfois peut-être même simulés par les populations ) ? la projection des aspirations propres de l'observateur ? Sans doute un peu de tout cela ! De mon point de vue ceci n'a d'ailleurs guère d'importance. Même dans l'hypothèse extrême où tout ceci ne serait qu'une immense utopie, où au travers des indiens ce serait finalement Clastres qui s'exprime, ceci ne changerait rien à la valeur d'une tentative visant à démontrer que les humains ne sont pas nécessairement les esclaves de l'État. L'important est que l'homme Clastres ait consacré une partie de sa vie à écrire ça. La plus ou moins grande véracité de ses analyses n'aura de toute façon aucune conséquence sur notre libération.

    4- Je conçois très bien que l'on ressente le besoin de s'accrocher à un "autre chose", un ailleurs ou un autre temps pour se représenter un petit morceau de ce que pourrait être une autre vie. Ce peut être certains amérindiens, ou si l'on veut se rattacher à nos "racines" (!) des tribus celtiques ou des communes féodales !  Notre vision en est souvent déformée, idéalisée ... tout est bon pour faire travailler l'imagination. Par contre, si l'imaginaire se choisit un modèle, une référence, tout un monde de possibles se ferme ; il devient même difficile de comprendre ceux qui imaginent différemment un autre mode de vie.

    La tâche est rude qui consiste à critiquer radicalement ce monde tout en y vivant, à apercevoir la possibilité d'une autre vie, sans modèle auquel se rattacher et même parfois sans les mots pour l'exprimer ; à se sentir en affinité avec d'autres parfois à des milliers de kilomètres de distances - sans pouvoir recouvrir ceci d'une étiquette pouvant aider à se reconnaître et à être reconnus des autres. Les seules armes dont nous disposons actuellement sont la confiance entre ceux qui composent notre petite "communauté de pensée" et l'absence de compromissions dans notre critique. Il ne faut donc en aucun cas considérer ces quelques remarques comme une tentative pour se démarquer ou chercher une différence entre nous, mais comme une parcelle de la réflexion commune.

Septembre 1989